Chevaucher l’énergie de la bonté fondamentale

par le Sakyong Mipham Rinpoché

« La force vitale que nous appelons le cheval de vent est l’énergie sans limite de la bonté fondamentale, de la nature de bouddha, de l’éveil qui est en nous. Nous entrons en contact avec cette force de vie grâce à la pratique de la méditation ».

Quand ils passent par des moments difficiles, les gens viennent souvent me demander des conseils. Ils se sentent déstabilisés et perdus. Ils sont souvent coincés et essayent de découvrir qui ils sont, ce qu’est le monde et quelle est leur place dans le monde. Ils se posent des questions sur leur compréhension du bouddhadharma et sur l’engagement qu’ils ont pris d’agir dans le monde comme des pratiquants authentiques. Ils semblent attendre de moi que je sois capable de leur offrir un remède ou un antidote secrets qui leur rendraient la vie plus facile, parce que cette situation épuise leur force vitale.

Dans les enseignements Shambhala du guerrier, on appelle cette force vitale le cheval-de-vent (en tibétain lungta). Lungta est l’énergie sans limite de la bonté fondamentale, de la nature de bouddha, de l’éveil qui est en nous. La bonté fondamentale est le secret le plus essentiel qu’on puisse découvrir dans n’importe quelle situation, qu’elle soit difficile ou non, et c’est quelque chose que nous possédons déjà. Nous entrons en contact avec cette bonté fondamentale grâce à la pratique de la méditation. Chaque jour nous devons contempler notre propre éveil, déjà présent en nous. Nous aurons ainsi la confiance d’invoquer le cheval-de-vent et de le chevaucher tout au long de notre vie, avec joie et délice. C’est ainsi que nous devenons le roi ou la reine de notre propre vie

La beauté de la méditation vient de ce qu’elle nous procure l’expérience directe de ce que le Bouddha a découvert : la souffrance provient de cette erreur fondamentale qui nous fait prendre le « moi » pour une entité solide. Cette base nous prépare à la possibilité réelle de rencontrer notre propre bonté fondamentale et d’invoquer le cheval-de-vent. Le bouddhisme Shambhala est fondé sur une courte pratique quotidienne et durable, à travers les hauts et les bas, les flux et les reflux, les pleins et les creux de notre vie ordinaire. C’est ainsi que nous apprenons que rien n’est solide dans notre vie. Mais les situations difficiles dans lesquelles nous sommes pris peuvent nous sembler très solides, c’est pour cela que la pratique de la médiation est la préparation idéale pour les temps difficiles. Nous pouvons alors utiliser ces situations pour qu’elles nous inspirent dans notre pratique et nous donnent de la force pour l’avenir.

Quand on parle des bouddhistes, généralement on dit qu’ils croient en l’impermanence, la souffrance et le non-ego. Nous savons que l’impermanence et la souffrance sont les marques caractéristiques de notre vie, évidemment, mais ça ne signifie pas que nous les désirons. Nous ne sommes pas idiots. Comme tout le monde, nous désirons la joie et le bonheur. La base du bouddhisme est de voir que si nous apprécions certaines vérités sur l’existence, cela nous permet de vivre notre vie avec joie, force et dignité. Par exemple, nous savons que le bonheur ne vient pas de penser à soi-même, parce que grâce à la méditation, nous avons vu que nous n’existons pas vraiment, pas plus d’ailleurs que ceux qui parlent ainsi de nous les bouddhistes.

Tout cela revient donc à connaître la bonté fondamentale, qui est l’esprit d’éveil. C’est l’esprit le plus léger que nous puissions avoir parce qu’il ne porte plus le fardeau du concept de « moi ». Quand on vit sans ce concept du « moi », cela libère dans notre cœur un espace d’où nous pouvons naturellement produire de l’amour et de la compassion pour les autres. L’esprit d’éveil est le meilleur esprit que nous puissions avoir, non pas dans un sens intellectuel mais dans le sens où il est bénéfique aux autres et apporte de la joie à nous-mêmes.

Quand nous avons confiance en notre bonté fondamentale, nous acquérons naturellement une vision générale de notre propre situation. Nous pouvons dire : »Je fais un voyage. Cette vie est intéressante. Beaucoup d’évènements vont se produire, mais moi je ne suis pas ces évènements. Je suis un individu qui au tréfonds de lui-même est plein d’amour et d’attention. Comment vais-je accéder à cet amour et à cette attention, les développer et les diriger vers les autres ? »

Ensuite nous pouvons commencer à voir la situation difficile des autres. En ce moment une de mes phrases favorites est : « Si vous voulez être malheureux, pensez à vous-mêmes. Si vous voulez être heureux, pensez aux autres ». Nous essayons tellement fort d’être heureux ! Mais en fait nous nous y prenons de travers. Plus nous pensons à nous-mêmes, plus nous ressentons de douleur et plus nous sommes malheureux. Quand nous commençons à penser aux autres, alors il y a de la joie, de l’ouverture et finalement, nous avons la paix de l’esprit.

C’est une perspective courageuse. Cela signifie qu’à partir de maintenant et jusqu’à ce que nous atteignions l’éveil, nous pouvons agir au service du bonheur des autres. Nous pouvons nous lever le matin et penser : « Quelle belle journée ! J’ai cette journée entière pour me consacrer à servir tous les êtres ». Simplement grâce à cette intention de guerrier-boddhisattva, nous élargissons notre vision et adoucissons notre avenir. Si cela semble impossible ou accablant, si une telle approche, si vaste, donne l’impression de nous écraser, nous pouvons nous rappeler que cet esprit d’éveil est plus grand que « moi ». Nous le faisons en éveillant l’énergie du cheval-de-vent.

Nous invoquons le cheval-de-vent dans notre méditation pour susciter la stabilité, la clarté et la force. Nous invoquons le cheval-de-vent dans notre vie quotidienne pour aller au-delà de nous-mêmes et ainsi faire des progrès au service des autres. Si nous sommes bien entraînés, cette approche adoucira les périodes difficiles que nous rencontrerons, quelles qu’elles soient. Si nous ne faisons pas de progrès ainsi, alors nous allons rendre les temps difficiles plus difficiles encore, avec les mêmes actions égoïstes année après année, nous rapprochant sans cesse plus près de la mort. C’est une perte de temps, un gâchis de notre force vitale. Quand nous vivons une vie au service de nous-mêmes, nous affaiblissons notre lungta, nous affaiblissons le cheval-de-vent.

Comment faire pour éviter de nous gâcher ainsi ? En entraînant notre esprit à la méditation, c’est-à-dire en « devenant familier avec »… Avec quoi ? Avec le courage qui est en nous, avec notre bonté fondamentale. En partant de cette base, nous nourrissons notre compassion, notre amour, notre sagesse qui sont facilement détruits dans les moments difficiles. Une méditation régulière a le pouvoir de nous faire entrer en contact avec notre nature éveillée, au milieu même de notre vie de tous les jours.

Quand nous ne sommes pas en contact avec cette nature éveillée, à quoi pensons-nous ? Nous pensons à nous-mêmes, à notre propre sécurité, à nos propres besoins. Évidemment, nous devons penser à manger, à nous habiller, à nous protéger du froid. Mais au-delà de ça, si nous continuons à ne penser qu’à nous, le cercle de notre vie devient très petit. Nous sommes si étroitement focalisés sur notre propre vie que nous commençons à ignorer tout le reste.

Pendant les temps difficiles, nous avons tendance à nous refermer sur nous-mêmes. Pour des pratiquants, c’est là que se trouve le défi. Si nous nous relions à la bonté fondamentale, cela nous permet de regarder plus loin que nous-mêmes, de penser aux autres ; invoquer le cheval-de-vent nous permet de nous rendre disponibles pour les autres.

Quand nous nous sentons démoralisés ou déprimés, nous pouvons visualiser un cheval courant dans une belle prairie ; cela nous donne la sensation qu’une force nous est transmise. Cela nous rend plus léger, comme si tout était possible. Cette image stimule en nous une force de vie incroyablement puissante. C’est cela, le cheval-de-vent. Nous avons toujours la possibilité de l’invoquer, dans le moment et dans l’endroit où nous sommes.

Il y a ensuite beaucoup de détails concrets, mais ce voyage débute avec cette attitude fondamentale de penser aux autres. Nous pouvons tous engendrer cette intention à notre façon particulière. Commençons donc par nous relier à la bonté fondamentale, pas demain, mais aujourd’hui. En découvrant cette qualité en nous-mêmes et en la voyant chez les autres, nous pouvons créer un environnement sain pour tous, même si nous sommes dans une période de remise en cause. Cela ne doit pas nous submerger. Nous pouvons commencer en regardant notre propre vie et en voyant ce que nous pouvons faire ensuite, une étape après l’autre.

Nous disposons d’un temps limité sur la Terre, et chaque jour nous devrions apprécier ce que nous sommes et ce que nous avons. Nous sommes des êtres humains et nous avons un éveil naturel en nous. Grâce à la méditation, nous pouvons demeurer dans la bonté fondamentale et susciter en nous la motivation d’un guerrier boddhisattva, c’est-à-dire, ne pas être ainsi préoccupés de nous-mêmes et penser aux autres. Nous pouvons invoquer notre cheval-de-vent et ainsi amener de la santé et de la joie. Être humain nous donne cette possibilité, essayons donc d’en tirer le meilleur avec discipline, humour et courage.

 

Riding the Energy of Basic Goodness

© Le Sakyong Mipham Rinpoché, 2002

Shambhala Sun

© Traduction : Les Traductions Mañjushrī, France, mars 2003