par le Sakyong Mipham Rinpoché
Mon livre, Régnez sur votre monde, présente les stratégies du tigre, du lion, du garuda et du dragon. Dans la tradition Shambhala, on les connaît sous le nom des quatre dignités, qui représentent les quatre sortes de confiance déployées par le souverain pour intégrer la sagesse et la compassion dans la vie quotidienne.
La confiance du tigre, c’est le contentement. Le contentement provient du discernement, la vertu qui consiste à toucher la terre à chaque instant en y posant nos pieds. En ralentissant pour examiner nos pensées, nos paroles et nos actes, et en nous demandant : « Est-ce que cela apportera du bonheur ou de la souffrance ? », nous devenons comme des tigres qui observent attentivement le paysage avant de bondir. En examinant ce qu’il faut cultiver et ce qu’il faut rejeter, nous nous rappelons notre précieuse vie humaine et nous décidons d’en faire bon usage.
De l’effort du tigre se développe la joie du lion, qui naît elle-même de la discipline. Nous avons souvent tendance à considérer la discipline comme une corvée fastidieuse. Pour le lion, c’est une joie, une manière pratique d’élever l’esprit du ‘moi’ jusqu’aux cimes d’une vision plus large. C’est une manière de changer notre attitude sur-le-champ, de nous rappeler que, sous-jacent à tous nos petits drames quotidiens, nous possédons l’esprit éveillé du bodhichitta, le joyau de la sagesse et de la compassion qui exauce tous les vœux.
Nous contemplons constamment quelque chose – le plus souvent l’art et la manière de nous aider nous-mêmes. Le lion retourne cette contemplation de l’intérieur vers l’extérieur en se demandant : « Comment puis-je aider les autres ? » Par cette simple question, nous augmentons notre capacité d’enrichir le monde et, en fin de compte, de trouver notre propre joie. Nous commençons à nous apercevoir que notre véritable désir est que les autres soient heureux, mais nous sommes parfois trop irrités ou distraits pour nous en souvenir. En usant de la discipline pour engendrer la compassion, nous sautons par-delà l’inconstance de nos humeurs jusque dans la confiance qui naît de la joie d’aider les autres.
Le discernement du tigre et la discipline du lion nous mènent à la démesure du garuda, un oiseau mythique aux bras humains qui éclôt de l’espace, prêt à s’envoler. Qu’est-ce qui rend le garuda démesuré ? N’étant plus attaché à la vision d’un ‘moi’, sa perspective s’étend à 360 degrés, son esprit neuf pourfend continuellement les concepts. Cet esprit accueille tout avec la confiance de l’équanimité, une vision impartiale issue de la contemplation du paysage de la vie : la réalité de l’impermanence et de la souffrance.
En adoptant cette hauteur de vue dans notre quotidien, nous nous trouvons libérés de l’esprit conventionnel – la fixation sur l’espoir que la vie répondra à nos attentes et sur la peur qu’il n’en soit rien. Désencombrés du besoin de manipuler la réalité, nous pouvons nous servir de tout ce qui peut arriver pour rayonner la compassion sans détour. Avec cet esprit ouvert, nous magnétisons tout ce dont nous pourrions avoir besoin pour une réussite spirituelle et matérielle.
La confiance du dragon, c’est la prajña, la sagesse profonde fondée sur la connaissance des choses telles qu’elles sont. Le dragon sait que nous essayons constamment de projeter un monde solide sur un processus fluide, prenant à tort notre expérience toujours changeante pour un soi. Comme les éléments, ce genre de sagesse n’a pas besoin de soutien. C’est une expérience directe de la réalité, vide et insaisissable.
Lorsque la sagesse du dragon détruit nos illusions, nous commençons à comprendre la bonté fondamentale, la pureté et la confiance inconditionnelles de toutes choses. Dans cette vision, la vie elle-même devient notre source d’énergie, et le monde éveillé commence à apparaître. Le joyau de la sagesse et de la compassion qui exauce tous les vœux est libéré et nous pouvons jouer dans la bénédiction et la magie de notre existence quotidienne.
« Four Ways to Rule Your World »
Sakyong Mipham Rinpoche
© Shambhala Sun, novembre 2005
© Traduction : Les Traductions Mañjushrī, France, janvier 2006.