Je crois en l’amour

par le Sakyong Mipham Rinpoché

Souvent les gens remarquent que vous portez un insigne, ou bien ils apprennent que vous allez au Centre Shambhala et ils demandent : « Qu’est-ce que ça représente pour toi ? Qu’est-ce que tu fais ? Es-tu bouddhiste ? » Et vous répondez peut-être : « Euh, je ne suis pas vraiment bouddhiste – je suis un peu là-dedans, tu vois, la méditation et ce genre de trucs. » Evidemment, ils peuvent penser que vous n’avez pas encore décidé; ce que vous dites est trop mou. « Dis-nous, mon pote, en quoi est-ce que tu crois? Allez, vide ton sac ! » « Euh, tu vois, c’est un peu de ceci et un peu de cela. »

Nous devons nous décider. Nous devons faire une déclaration plus franche. Quand quelqu’un nous demande : « En quoi est-ce que tu crois ? », nous devons résumer par quelque chose comme : « Je crois en l’amour ! » Ça peut être un moment embarrassant, parce que ça peut sembler un peu excentrique, mais il est possible de le dire. Nous pouvons dire : « Je crois qu’il y a dans l’esprit une magnanimité formidable, et que nous pouvons lui donner vie. » C’est de ce type d’amour que nous parlons. Fondamentalement, cet amour est ce que nous sommes. Evidemment, le découvrir et agir sur cette base est un processus qui demande les moyens les plus habiles. C’est pour cela que nous appelons ce que nous faisons une « pratique » : nous pratiquons la découverte, la libération et le rayonnement de l’amour.

Lorsque nous nous levons le matin, nous pourrions nous concentrer sur une activité simple et unique : Pouvons-nous aimer ? Pouvons-nous être doux ? Pouvons-nous exprimer cet amour ? Pouvons-nous dire à quelqu’un : « Je me sens concerné par ce qui t’arrive » ? Parfois, le matin, lorsque nous nous levons, nous ne savons pas comment nous y prendre avec l’amour. Cela nous dépasse. Mais cela peut se résumer à une chose : à la reconnaissance en nous de cet amour- le bodhichitta, ou l’esprit éveillé.

Chaque individu possède ce joyau de l’amour dans son cœur. Du Bouddha à Shantideva, des générations de maîtres de notre lignée en parlent. Shantideva le décrit magnifiquement dans son texte sur la manière d’être un bodhisattva. Il décrit le bodhichitta comme un diamant au milieu des détritus. Au cours de la journée, au milieu de toutes sortes d’émotions et de chaos, nous sommes souvent incapables de le voir. Mais lorsque nous pouvons sortir de notre projet intitulé « moi », pour un bref instant, nous découvrons que cet amour est toujours disponible.

Quelle que soit notre situation, où que nous nous trouvions, du point de vue bouddhiste nous pouvons instantanément changer complètement notre état d’esprit en jetant un coup d’œil aux autres. Nous pouvons faire mieux que de nous préoccuper sans cesse de notre « moi » et nous demander : « Et eux ? » C’est un moment crucial. Nous pouvons voir que les autres sont pressés aussi, et nous pouvons les laisser passer en premier. Nous pouvons voir qu’ils souffrent, qu’ils ont eu une tragédie dans leur vie, et leur donner un peu d’espace.

A ce moment-là, nous libérons notre amour. C’est le joyau dont nous parlons. Shantideva dit que si nous manquons cet instant, alors une fois de plus, nous sommes passés à côté des ordures sans remarquer le joyau. Quelque chose de significatif aurait pu se produire, mais ne s’est pas produit. Tout le texte de Shantideva se résume à cette instruction : arrêtez, regardez et saisissez le diamant. C’est un moment clé : il contient l’éveil le plus profond que nous recherchons. Nous devrions tirer profit de ce moment. Nous devrions le provoquer. Bien que ce moment paraisse très court, il faut du courage pour s’arrêter, regarder et saisir le joyau. Cela demande également de la pratique.

En même temps, nous avons besoin d’une communauté, d’un support pour agir ainsi les uns envers les autres. Nous avons besoin de vouloir nous rappeler les uns aux autres de prendre cet instant d’esprit éveillé et de tenter de l’élargir, par la méditation formelle, la contemplation et aussi en lui donnant de la place dans notre vie. L’approfondissement de notre réalisation est le point essentiel de chaque jour.

Comment allons-nous réaliser cela ? Nous pouvons sortir du lit chaque matin avec le projet de générer le bodhichitta, de générer la bonté et la sagesse, de travailler avec notre colère ou notre jalousie ou n’importe quoi d’autre. C’est une intention étonnante que nous pouvons avoir avant même de prendre notre café. C’est l’attitude du guerrier. Cette pratique demande de la discipline. Nous avons besoin de discipline pour aiguiser notre esprit, pour affiner notre activité – chacun des aspects de notre vie. Le résultat de cette discipline est la joie.

La joie est une des caractéristiques de la bonté fondamentale, de rigpa. C’est l’énergie naturelle des êtres sensibles. L’esprit est naturellement libre. Par nature, l’esprit est en parfait équilibre. Lorsque nous en faisons l’expérience par nous-mêmes en méditation, nous avons une sensation d’allégresse. Dans les enseignements sur les quatre dignités, lorsqu’on parle de la vivacité du guerrier, on parle de la joie. Il y a des moments où l’on se sent triste; il y a des moments où l’on se sent sérieux. Mais en dessous de ces sentiments, au cœur de notre être, il y a la joie.

Nous devons donner cela aux gens qui nous entourent. Nous avons quelque chose de très précieux et de significatif. La joie se manifeste lorsqu’on trouve le sens véritable, ce joyau dans les détritus. Il est de notre devoir, chaque jour, d’employer notre esprit et notre cœur à cultiver le sens véritable, pour pouvoir apporter la joie à notre entourage. Il faut que ce soit normal que les gens éprouvent de la joie et l’expriment.

Il est également important d’admettre la douleur. Reconnaître la douleur au lieu d’essayer de l’ignorer apporte une joie formidable. Cela nous aide à réaliser combien notre situation est précieuse. Que ça nous plaise ou pas, nous sommes constamment dans le flux des choses et chacune de nos actions a un résultat, quel qu’il soit.

En tant que pratiquants, nous cheminons dans une direction particulière : notre esprit et notre cœur recherchent la liberté avec beaucoup d’intelligence. Cette liberté est intérieure. L’extérioriser nécessite un processus de rayonnement. On peut prendre cette intensité, cette réalisation, cet incroyable bodhichitta et l’étendre autour de nous comme on étalerait du miel. Ainsi croire en l’amour est à la source de toutes nos actions.

 

I Believe In Love

© 2003 www.mipham.com

© Traduction : Les Traductions Mañjushrī, France, juin 2005