Comment méditer ?

par le Sakyong Mipham Rinpoché

L’esprit non entraîné ressemble à un cheval sauvage. Il s’enfuit au loin quand on essaye de le découvrir, s’effarouche quand on essaye de l’approcher. Si on trouve un moyen de le monter, il prend le mors aux dents et finalement nous désarçonne et nous envoie directement rouler dans la boue. Il y a un potentiel de communication et de relation entre le cheval et le cavalier, entre l’esprit et le soi, mais le cheval a besoin d’un entraînement pour devenir un participant volontaire à cette relation.

On entraîne son esprit à l’aide de la pratique de shamatha, qui est la forme la plus simple de méditation assise. Shamatha est un mot sanskrit qui signifie « demeurer en paix. » Comme tous les types de méditation, celle-ci repose sur deux principes fondamentaux, qu’on appelle en tibétain ngotro et gom. Ngotro signifie « être présenté » à l’objet de méditation, alors que gom veut dire « devenir familier. » Dans la pratique de shamatha, on est présenté au simple acte de respirer et on en devient familier. C’est notre objet de concentration, le lieu vers lequel on revient sans cesse lorsque l’esprit s’est échappé et qu’on se retrouve cramponné au cou du cheval, espérant qu’on ne va pas se retrouver trop loin de la maison.

Pourquoi pratiquer Shamatha ?

La méditation est fondée sur la prémisse que l’état naturel de l’esprit est calme et clair. Cela nous fournit un moyen d’entraîner notre esprit pour l’installer dans cet état. Notre première raison de méditer pourrait être qu’on souhaite un peu se libérer de notre esprit agité. On souhaite découvrir la bonté fondamentale de notre esprit naturel.

Pour y parvenir, il faut d’abord ralentir et faire l’expérience de notre esprit tel qu’il est. Au cours de ce processus, on découvre comment notre esprit fonctionne. On voit que, quel que soit le lieu dans lequel notre esprit se trouve – en colère, désir, jalousie ou en paix – c’est également le lieu où on se trouve. On commence à comprendre qu’on a le choix en la matière : on n’a pas de raison d’agir suivant la fantaisie de chaque pensée. On peut demeurer paisible. La méditation est un moyen de ralentir et de découvrir comment notre esprit fonctionne.

Un esprit non-entraîné est faible et rigide. Il vit dans une zone de confort. Lorsque les frontières de cette zone sont menacées, il réagit en se rigidifiant encore plus. Par contraste, un esprit entraîné est fort, souple et malléable. Du fait qu’il est capable de s’étendre au-delà de ces sensations de confort, il réagit de manière adaptée et non mécaniquement aux défis. Grâce à shamatha on peut entraîner notre esprit à être souple et en harmonie avec ce qui se passe maintenant. On peut utiliser cet esprit docile dans tous les aspects de notre vie, y compris notre gagne-pain, nos relations sociales et notre chemin spirituel. Une autre raison de méditer est donc de développer un esprit fort et souple qu’on peut mettre au travail.

Il est facile d’associer la méditation avec la spiritualité, car lorsqu’on fait l’expérience d’un moment paisible, cela semble tellement prodigieux. Notre esprit n’est plus à la dérive, pensant à des millions de choses. Le soleil se lève ou une brise légère nous caresse; soudain on perçoit cette brise et on est complètement en harmonie. On se dit : « C’est une vraie expérience spirituelle ! C’est une expérience religieuse ! Ça vaut au moins un poème ou une lettre à la maison. » Pourtant l’unique chose qui se passe est que pour un moment on est en harmonie avec notre esprit. Notre esprit est présent et harmonieux. Auparavant, on était tellement affairé et confus qu’on n’avait même pas remarqué la brise. Notre esprit ne pouvait même pas rester en place suffisamment longtemps pour voir le soleil se lever, ce qui prend deux minutes et demie. Maintenant on peut le garder suffisamment longtemps au même endroit pour prendre connaissance de ce qui nous entoure et l’apprécier. Maintenant on est vraiment ici. Ceci n’a rien à voir avec la religion ou un chemin spirituel. Cela a tout bonnement à voir avec le simple fait d’être humain.

Se préparer à la pratique

Le principe de base de la méditation shamatha est « ni trop tendu, ni trop relâché. » Ceci est vrai pour tous les aspects de la pratique : trouver l’environnement adéquat, préparer son corps et son esprit à la méditation, maintenir sa posture, remarquer les pensées et les émotions ainsi que ramener son esprit sur sa respiration. Les instructions sont très claires et on devrait les suivre le plus précisément possible. La douceur est aussi de la partie, sinon la méditation devient un moyen de se mesurer à un idéal inatteignable. Il est important de ne pas s’attendre à la perfection ou de rester accroché aux plus petits points de détail de l’instruction. La pratique demande un effort régulier qui peut aussi être joyeux.

Une des choses les plus simples à réaliser est de créer un bon environnement pour pratiquer; un endroit qui est confortable, tranquille et propre. Un coin de votre chambre qui vous stimule où vous êtes à l’aise et où il y a de l’espace est un bon endroit. Ça ne sert à rien de vous prendre au piège d’une chasse à l’endroit parfait pour méditer. Des citadins voudront aller méditer en paix à la montagne et s’apercevront que les criquets et les oiseaux ne peuvent pas la fermer !

Le rythme est également important. Décidez de pratiquer chaque jour à une heure régulière et essayez de vous y tenir. Dix minutes par jour le matin, c’est un bon début. Plus vous êtes routinier, mieux c’est.

Se préparer est un autre élément important. Il est préférable de ne pas simplement s’asseoir et espérer que ça se passera bien. Si vous tombez directement sur votre coussin en sortant du bureau ou sitôt après une dispute, vous allez peut-être passer toute la séance à essayer de ralentir, juste pour vous rappeler que vous méditez. Si vous êtes agité, une marche lente peut être utile. Si vous êtes somnolent, une douche froide avant de commencer peut vous aider. Il peut être inspirant de faire d’abord une petite lecture sur la méditation comme rappel de votre raison de pratiquer. Travailler avec vous-mêmes de cette manière est intelligent et honnête et peut procurer l’esprit et le corps appropriés à une bonne pratique. Mais rappelez-vous, la préparation n’est pas la méditation, c’est simplement la préparation.

La moitié du défi de la méditation est simplement de vous amener à votre coussin. Au début d’une séance vous pourriez subitement découvrir que vous avez des choses plus importantes à faire : faire le ménage ou passer un coup de fil ou écrire un courriel. Une manière de travailler avec ce genre de tergiversations est de prendre l’habitude de faire des étirements préliminaires ou une marche avant votre séance. Ceci vous permet de vous détendre en apaisant votre corps et votre esprit avant de commencer à méditer. Plus vous pratiquez régulièrement, mieux vous serez à même de travailler avec les stratégies qu’un esprit non-entraîné développe pour vous empêcher de rejoindre votre coussin.

Prendre son siège

Vous pouvez utiliser des postures différentes pour méditer, mais dans des circonstances ordinaires, être assis est ce qu’il y a de mieux. Que vous vous asseyiez sur une chaise ou sur un coussin, considérez votre siège comme un trône – le centre de votre pratique et de votre vie.

Lorsque vous vous asseyez, prenez une posture équilibrée et bien ancrée, permettant à l’énergie au centre de votre corps de se déplacer librement. Si vous êtes sur un coussin, asseyez-vous les jambes librement croisées. Si vous êtes sur une chaise, gardez vos jambes décroisées et vos pieds à plat sur le sol. Imaginez qu’une ficelle est attachée au sommet de votre crâne et vous tire droit vers le haut. Laissez votre corps s’installer autour de votre colonne vertébrale ainsi érigée. Placez vos mains sur vos cuisses, pas trop en avant pour ne pas tirer vos épaules vers le bas, pas trop en arrière afin que les épaules ne se contractent pas et ne pincent pas la colonne vertébrale. Les doigts sont rapprochés et détendus; pas étalés et agrippés comme si vous ne pouviez vous laisser aller.

Rentrez le menton et détendez les mâchoires. La langue est également détendue, placée contre les dents d’en haut. La bouche est légèrement ouverte. Le regard est tourné vers le bas, les paupières presque mi-closes. Les yeux ne regardent pas; les yeux voient simplement. C’est la même chose avec les sons; nous n’écoutons pas, mais nous entendons. En d’autres mots, nous ne nous focalisons pas sur nos sens.

S’affaler détériore la respiration, ce qui affecte directement l’esprit. Si vous êtes voûté, vous allez lutter avec votre corps en même temps que vous essayerez d’entraîner votre esprit. Ce que vous voulez faire est à l’opposé : synchroniser votre corps et votre esprit. Lorsque votre concentration est vacillante, contrôlez votre posture. Reprenez votre position droite. Imaginez la ficelle tirant votre colonne vertébrale droite vers le haut et détendez votre corps autour.

Travailler avec la respiration

Habituellement, notre esprit turbulent saute d’une pensée à l’autre. On se rejoue le passé; on rêve sur le futur. Dans la méditation, on place notre esprit sur un objet et on le maintient là. Dans la méditation shamatha, l’objet est le simple acte de respirer. La respiration représente le fait d’être en vie et l’immédiateté du moment.

L’utilisation de la respiration comme objet de méditation est particulièrement bonne pour calmer un esprit affairé. Le flux régulier de la respiration apaise l’esprit et apporte la stabilité et la détente. Il s’agit d’une respiration normale, rien n’est exagéré. Une technique très simple consiste à compter les cycles d’inspiration et d’expiration de un à vingt-et-un. Nous inspirons, puis nous expirons : un. Inspiration et expiration : deux. Placez votre esprit sur la respiration et comptez chaque cycle. Vous pouvez laisser tomber le comptage lorsque votre esprit est stable.

Rassembler l’esprit

Quand vous vous concentrez sur la respiration, vous pouvez remarquer que des pensées et des émotions variées surgissent. Lorsque cela arrive, prenez acte que vous pensez et replacez votre concentration sur la respiration. En vous concentrant, vous vous ramenez à l’attention. Vous vous recentrez dans votre esprit et vous placez cet esprit sur la respiration. Lentement vous vous stabilisez. Petit à petit, vous ralentissez l’esprit. Au début, lorsque vous faites cela, vous pouvez ressentir le mouvement des pensées comme une cascade grondante. Puis au fur et à mesure que vous appliquez la technique qui consiste à reconnaître les pensées et à replacer votre concentration sur la respiration, le torrent se ralentit, devient une rivière, ensuite un cours d’eau sinueux, qui finalement coule dans un océan profond et calme.

Pour que le mouvement de l’esprit se ralentisse ainsi, cela demande une longue pratique régulière. Une bonne pratique consiste à méditer dix minutes par jour, année après année. Avec les hauts et les bas, doucement nous nous familiarisons avec la stabilité naturelle, la force et la clarté de l’esprit. Il devient naturel d’y revenir. Nous lâchons prise de nos idées conceptuelles sur la méditation. Nous pouvons nous détendre et l’apprécier. Nous commençons à laisser cet état naturel de bonté fondamentale se diffuser dans notre vie entière.

La pratique de la méditation est antérieure au bouddhisme et à toutes les religions du monde. Elle a perduré à travers les siècles parce qu’elle est directe, puissante et efficace. Si la méditation devient partie intégrante de votre vie, envisagez alors d’obtenir des instructions plus approfondies auprès d’un méditant expérimenté. Il pourrait aussi être utile de devenir membre d’une communauté de pratiquants.

J’ai appris ces instructions de mes maîtres et je suis heureux de vous les transmettre. Puissent ces instructions apporter un calme naturel et paisible au sein de votre vie. Avoir un esprit qui est en paix avec lui-même, un esprit qui est clair et joyeux, c’est la base du bonheur et de la compassion.

How to Meditate

© 2002 Mipham J. Mukpo

© Traduction : Les Traductions Mañjushrī, France, juin 2005